En bref, il s'agissait de faire une série de photos sur la thématique du narcissisme, en utilisant des techniques telles que le multi-pose, light painting et les effets de diffraction.
La caractéristique principale de ces photos, c'est d'avoir été réalisées en une seule prise (aucun photoshop, hormis pour la courbe blanc/noir et pour le recadrage... j'ai seulement développé les raw quoi).
Concernant l'histoire qui est racontée, ce n'est en rien une étude médicale du narcissisme : ne vous attendez pas à ce que ce soit -- et ne considérez pas que c'est -- une véritable représentation du parcours d'un narcissique, ni que ça en présente tous les symptomes. Là, c'est plus en réalité une "réinterprétation" du mythe de narcisse ; toute la série tient dans cette définition faussée du narcissisme : "le narcissique c'est celui qui est amoureux de lui-même".
Sur ce, bon voyage ! :D
Fleur Bleue
Dans cette scénette, la jeune fille découvre ses sentiments envers elle-même. C’est le début du narcissisme, c’est la période fleur bleue. Rien de mal n’est accompli à ce moment. C’est la découverte, l’exposition des sentiments. On sent la fille debout surprise, ce qui s’explique quand on voit que son alter-ego agenouillée n’ose pas complètement lever les yeux sur celle vers qui elle tend son bouquet de narcisses. On sent dans le déséquilibre de celle qui est debout, que la rencontre est inévitable.
D’un point composition de la photo, les deux corps sont situés de part et d’autre de l’axe médian, le narcisse placé sur celui-ci.
La lecture, depuis la jambe pliée en passant par l’avant-bras de la jeune fille assise, se continue crescendo vers la droite, comme aspirée par les mains de la jeune fille debout, qui semble à ce moment-là bloquée par toute progression.
Consopassion
Dans cette photo, notre couple individuel semble avoir passé l’étape suivante. La relation est consommée et passionnée. Cependant, si l’amour est bien présent, symbolisé par le coeur, on remarque que seul un des deux personnages n’est capable de réellement s’y plonger. Son corps est penché en avant, sa main traverse le coeur, ses lèvres vont chercher les lèvres de sa partenaire, alors que l’autre, bien que consentante, garde néanmoins une attitude réservée, les mains en arrière. La relation avec soi-même n’est pas une relation facile, c’est une relation à double-tranchant. On constate d’ailleurs que le coeur a un fantôme retourné qui lui est accolé. L’amour n’est pas totalement stable, et ne peut pas se contenir entièrement en lui-même.
Les narcisses restent plantés au pied de cette relation. Le sentiment narcissique ne prédomine pas, il laisse la place au sentiment amoureux.
Pris en flag'
Ici, la scène est relativement simple. Être narcissique, ce n’est pas seulement s’aimer soi, comme on aime un conjoint. C’est toutes les relations sociales que l’on fait tourner à notre bénéfice en nous positionnant au centre. Au bout d’un moment, l’entourage peut finir par se rendre compte de ce que vous êtes. Non, vous n’êtes pas un altruiste qui pense aux autres. Oui, vous êtes un égoïste qui veut que tout soit fait en votre faveur. Ce sera probablement un jour où vous aurez été particulièrement avide de reconnaissance, où vous aurez tagué un “I <3 me” géant sur le tissu de vos relations que vous pourrez être pris en flagrant délit de narcissisme. Ici, on voit la lumière crue d’un projecteur qui se braque sur notre personnage, projetant une ombre marquée sur le mur. Observez son regard apeuré; il s’est senti découvert, l’heure n’est plus au narcissisme, il va falloir nier, la fleur a disparu.
Jalousosie
Après avoir été repéré, notre narcissique se fait une crise de jalousosie, autrement dit, elle se fait une crise de jalousie à elle-même. Elle prend conscience de ce qu’elle pourrait avoir une valeur envers les autres. C’est le personnage de gauche qui le montre, tournée vers la caméra, entourée de nombreux cœurs. On peut imaginer que, parmi ces cœurs se cachent les soupirs d’un possible amant délaissé., ou plus prosaïquement, que certains d’entre eux sont le fruit des amitiés auxquels notre personnage a le droit, amitiés cependant fragiles s’il persévère dans son comportement narcissique. La sosie de droite, elle, ne se voit que dans sa relation avec elle-même. C’est une relation qui, finalement, ne peut lui apporter que peu. Elle a beau s’offrir à elle-même tout son propre amour égoïstement, elle n’arrivera jamais à dépasser ses trois petits cœurs bien misérables face à la demi-douzaine de sa voisine sur laquelle on devine que d’autres coeurs sont en train d’arriver par la gauche. Peut-être, grâce à une adaptation de son comportement ?
Le cœur balance. La narcissique ne sait plus trop vers qui se tourner, ce n’est pas le moment, la fleur n’est toujours pas présente.
Autosuffisance
A première vue, et selon notre propre regard, cette scène est relativement décevante. Finalement, notre narcissique est reparti dans l’autosuffisance. C’est à lui tout seul qu’il constitue ce “moi”. En particulier, on remarque qu’il enferme complètement son amour envers lui-même, ce narcisse, en son centre. Il est décidé à ne plus le laisser s’échapper.
Néanmoins, on constate un phénomène intéressant. Le narcissique est ici représenté sous forme de deux couples et une unité. On remarque que les deux couples se tiennent fermement par les mains. Chaque moitié du couple ne peut s’extraire de l’autre. C’est un contrôle par ton symétrique, mais c’est un contrôle agréé car réciproque. En revanche, on observe que notre unité libre se voile le visage, qu’il est séparé du groupe, isolé. On peut s’imaginer qu’il y a toujours, même chez les narcissiques une partie du “moi” qui veut se libérer de la dictature du “moi” : un narcissique aura toujours une part, aussi petite soit-elle, d’altruisme ; un altruiste aura toujours une part de narcissisme.
Cependant, une question n’est toujours pas résolue. Nous avons pris le parti de considérer le narcissisme comme un état indésirable. Nous avons espéré, lors des photos précédentes que notre modèle allait pouvoir s’en détacher. Mais faut-il vraiment lui espérer ceci ? Sa nature n’est-elle pas d’être narcissique ? Son bonheur ne peut-il pas naître de son narcissisme ? Lui faut-il nécessairement être en interaction ouverte avec les autres pour être heureux ? Le narcissisme définit-il l’être ? Et si oui, peut-on s’autoriser à vouloir changer l’être pour créer un être heureux selon nos propres définitions ?
